
Law est terrifié et ne s'en cache pas. Il connaît l'acte que s'apprête à commettre son amie d'enfance. Il le sait ! Et ça, ça le dévore de l'intérieur. Un long frisson lui parcourt l'échine. La nausée au bord des lèvres, il attrape la main caressante entre ses longs doigts. Le regard chocolaté n'est plus aussi vif qu'autrefois, il est usé mais s'oppose à celui-ci sombre de l'homme sans sourcilier. Le murmure des prunelles obscures est aussi audible que le hurlement d'un loup. « Reste. Je ne veux pas que tu partes. Pas encore ! C'est trop tôt : reste avec moi ! Je ne veux pas te perdre. Pas toi ! ». Dérangée, Béatrice détourne son regard faisant serrer les dents de son comparse.
La main usée commence à quitter la joue humide. Ses doigts délicats, bourreaux à leurs heures perdues, esquissent un geste tendre avant la fin. Leurs pulpes savourent encore un peu la présence matérielle du vieux camarade. La femme contemple longuement le visage connu depuis l'enfance. Dire qu'elle ne le reverra qu'en enfer. C'est étrange, non ? Les lèvres charnues se mouvent en un sourire béat. Au loin, les cloches de l'Église sonnent. L'heure est venue. Béatrice fait ses adieux à Law. Sa main gelée abandonne le faciès amical pour une rambarde métallique. Du coin de l'½il, elle l'observe une dernière fois. La pluie cesse, aussi abruptement qu'elle est tombée. Le vent d'autan prend le relais et emmêle la longue chevelure brune aux boucles épaisses et lourdes.
Tournant le dos au Chinois, elle dit au revoir à sa vie après un ultime regard envers le soleil. Fermant ses paupières, elle fredonne une vieille mélodie à la fois française et italienne. Ouvrant ses yeux, elle remarque que l'astre diurne s'est caché derrière les sombres nuages. Une larme, unique et belle, glisse sur sa joue ensanglantée. Béatrice passe par-dessus la rambarde de sécurité. Elle parvient, sans savoir comment, à ne pas regarder le sol plusieurs étages plus bas. Elle est terrifiée mais sa mort a été décidée depuis toujours. Elle n'a pu en récupérer que l'art et la manière, de justesse. Sa main serre férocement l'alliage froid et mouillé. La Française va sauter. À la fois pour mettre fin au cataclysme qui se joue d'eux, mais aussi pour son amante décédée, sa famille disparue, ses amis détruits et ceux qui l'ont accompagnée jusqu'à la fin.
Béatrice déglutit et lâche la rambarde. Le vent l'aide et la pousse dans une danse mortelle.
Un cri lui échappe –ou serait-ce un hurlement ? L'écho se répercute dans toute la cour vide. Le corps de la suicidée bascule. Retournée ainsi, la femme fait face à Law. Elle ne retient plus son rire dément et son immense sourire. La scène qui se joue plus haut est démentielle. Elle est si inutile qu'elle n'a que le mérite d'exister. Elle a pris la bonne décision en lui demandant de venir. Le rire s'amplifie. L'homme s'est penché jusqu'à la taille, une main tendue en direction de l'amputé et une autre crochetée à la rambarde, dans la tentative veine de la rattraper. Cet idiot a voulu la sauver. Mais cela n'existe que dans les histoires ayant une « fin heureuse ».
Le vent embrasse son corps. Le c½ur bat à toute allure. Les épaules s'allègent du poids de l'humanité. Elle se sent si libre ! Si libre ! Le corps de Béatrice percute le sol. Les bruits d'os brisés rejoignent le cri de tantôt et le rire fou et se répercutent à son tour dans l'espace vide. La pluie reprend son cours. Le temps nerveux, triste, maussade se synchronise avec l'homme qui hurle son désespoir. Sa haine est puissante et sans fin. Le crâne explosé, tout comme le reste du corps, baigne dans le sang. Les yeux s'agitent tout comme les doigts savourent la pluie aimée.
Roman-Alma, Posté le mercredi 29 novembre 2017 08:36
Me revoilà! Quel passage puissant. Je n'en reviens pas. Il n'y a aucun dialogue ce qui rend la scène vraiment spéciale car tout est si intense qu'on en a pas besoin. Franchement, chapeau bas pour ce prologue. Je suis aussi assez surprise car la manière dont l'histoire est tournée est très similaire à une de mes anciennes fictions que j'ai arrêté de publier, avec un dernier face à face entre deux amis d'enfance, qui se termine par la mort de l'un deux. Haha, les concordances me donnent d'autant plus envie de découvrir la suite !